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Éric BORDAS, École Normale Supérieure (Lettres et Sciences Humaines), Lyon




Dès son invention et sa banalisation domestique urbaine à partir de 1880 environ en France, le potentiel imaginaire du téléphone a été une source d’inspiration pour les écrivains, sensibles à l’expérience de l’altérité que cette technique modalise radicalement. Tout le monde connaît les pages géniales de Proust, dans Le Côté de Guermantes, pour qui le téléphone est déjà une rencontre avec le deuil, une forme de paradoxe émotif éminemment troublant. Le trouble, précisément. La composante érotique de la relation téléphonique fut très tôt et très vite perçue par les utilisateurs. Dès 1910, des courts métrages pornographiques, destinés aux maisons closes, montrent des hommes et des femmes s’adonnant à des pratiques solitaires, le téléphone en main. Les écrivains, ces hommes et ces femmes de la communication différée, mais silencieuse, ces personnes sans voix orale autre que métaphorique, ne furent pas en reste, et les scènes d’affolement sensuel, plus ou moins amoureux, se multiplièrent dans les textes, pouvant devenir l’œuvre elle-même, dans le cas du monodrame de Cocteau, La Voix humaine (1930), longue supplication au téléphone d’une femme abandonnée. Par la suite, la problématique hésita entre l’anecdote graveleuse, risible ou pathétique, à laquelle on ne consacre pas plus qu’une ou deux lignes expéditives, comme la chose elle-même, et l’insistance complaisante, de référence non-communicationnelle très élargie, qui n’en finit de broder sur la dialectique du lointain et du proche, du présent et de l’absent comme asymptote d’un désir menacé dans son existence même.
Les psychanalystes ont beaucoup écrit sur ce désir transféré, sur ce fétichisme de la voix au téléphone, qui n’est pas la vraie voix, car voix légèrement déformée, voix là et voix ailleurs, suggestive et évocatrice, voix éminemment paradoxale, disponible dans son existence de l’instant, suggérant une relation directe qui repose, pourtant, sur la fondamentale impossibilité d’un contact tactile, impossibilité accentuant d’autant plus la dimension charnelle de la communication. Ils reprennent, à leur façon, l’affirmation arbitraire mais révélatrice de Sade sur la supériorité de l’ouïe sur tous les autres sens dans la conduite du plaisir comme expérience de la souffrance. Obsession érotisable, en effet, qui rappelle la géniale formule de Meschonnic : « Une voix, c’est du corps hors du corps. » Mais une voix au téléphone, c’est du corps médiatisé d’abord dans l’absence et l’éloignement, voire l’anonymat et l’inconnu, forme même de la frustration et de la manipulation sollicitant l’invention.
La pratique de l’amour au téléphone, nom élégamment donné à une activité masturbatoire souvent dépourvue de tout sentiment, est une référence notoire, quasi stéréotypée, dans les représentations de l’identité homosexuelle masculine contemporaine. En effet, l’immense majorité de ces représentations, théoriques, littéraires ou cinématographiques, dressent le portrait d’un homme, d’une quarantaine d’années, parisien, cadre supérieur d’orientation intellectuelle ou culturelle, et condamné à une désespérante solitude. Dans ce portrait robot, l’homosexuel des dernières années du XXe siècle et des premières années du XXIe passe son temps à chercher des aventures, à faire des rencontres ; et c’est là que le téléphone intervient.
Le téléphone, notons-le bien, et non Internet, de fonctionnement fort différent, et qui n’est pas destiné aux mêmes usages, ni, surtout, aux mêmes désirs. En effet, le téléphone, comme Internet du reste, propose depuis les années 1980 des réseaux de rencontre permettant de prendre contact avec des hommes en quête de partenaires : cela peut fonctionner exactement comme une petite annonce de journal (on laisse une fiche descriptive, puis on vient consulter les réponses, les propositions), ou comme une consommation en direct (les deux hommes dialoguent et, la plupart du temps, développent des scénarios érotiques les menant, l’un et l’autre, au plaisir, en une activité nommée par un néologisme synthétique « branlotel » ; précisons qu’il existe des plateformes de discussion permettant le polylogue : ce ne sont pas seulement deux hommes, mais trois, quatre, ou plus, qui peuvent parler ensemble).
C’est, bien sûr, dans la seconde option (le sexe en direct, avec dialogue) que le téléphone se distingue radicalement d’Internet. En effet, Internet introduit, par la WebCam, l’image, et donc la vérité (prétendue, du moins crédibilisée) du corps montré et vu ; et dans le cas où il n’y a pas image (sans WebCam, donc), il n’y a généralement pas voix non plus, le dialogue se réduisant à des échanges écrits, en direct, envoyés par email. Tandis que le téléphone, on y revient, c’est une voix sans corps, ou du moins sans corps autre sonore, corps vocal, non-corps visiblement charnel, non touchable, c’est du référent imaginaire sans référence visuelle concrète ; c’est donc le lieu même de la fantasmatique, et, de ce fait, lieu frustrant pour ceux qui veulent la vérité du corps-image, mais excitant pour ceux qui préfèrent imaginer, inventer l’autre et, plus souvent encore, s’inventer soi-même, pour jouir dans un rapport solipsiste à la communication, à l’échange.

L’échange sexuel au téléphone est-il restituable par la pratique de l’écrit, par la médiation d’une représentation narrative ? Peut-il constituer une scène à part entière, sur le double plan poétique et érotique ? A priori, on imagine une réponse négative : l’écrit ne saurait jamais faire concrètement entendre le grain de la voix, les silences, les soupirs et les râles qui rythment l’échange érotique ; on ne pourrait avoir que figuration, soit détournement d’une réinvention par des signes sémantisés, produisant un simulacre peu compréhensible sur le plan du désir, limité. Et en même temps, les analogies entre les pratiques imaginaires de l’écrivain et celles du scénariste onaniste du téléphone, qui inventent, s’inventent des scénarios de pure disponibilité, modulables à l’infini, sont patentes – pour ne pas même parler de la médiation de la main, dans cette activité créatrice de désir, main qui tient le stylo ou qui frappe le clavier, main qui tient l’appareil téléphonique. Si l’on accepte de définir l’homosexualité comme une expérience de fiction (le sujet dit « homosexuel » s’invente une identité intempestive dans un monde dans lequel il ne se reconnaît pas d’identité disponible), on comprend bien les affinités évidentes qu’il y a entre ces pratiques d’échanges téléphonique et littéraire qui flattent massivement, tout le monde le sait, pulsion narcissique et tendance mythomane.
C’est pourquoi l’expérience de l’échange érotique au téléphone a pu devenir un topos dans la production littéraire gay contemporaine, le plus souvent présenté comme un passage obligé dans un certain misérabilisme de la solitude, ou alors ironisé et autoparodié dans une sympathique pratique de l’autodérision, qui ne fait que reprendre la même composante, moyennant une modification du point de vue stylistique. Poétiquement, les écrivains ont le choix entre deux formes pour figurer cette expérience : le récit ou le dialogue. Le récit privilégie un point de vue unique recteur ; le dialogue, prétendument plus objectif, transcrit les répliques en interaction, mettant les deux locuteurs à égalité dans la production du texte du désir. Le résultat, fort différent, bien sûr, constitue-t-il une scène, scène érotique, scène romanesque ?
Le paramètre d’identification d’un texte en scène est, le plus souvent, la référence visuelle, voire iconique, implicite ou explicite, référence coordinatrice des structures poétiques proposées. C’est la thèse de Stéphane Lojkine dans son travail sur les scènes de roman : « la scène est le moment de ce retournement de la narration en tableau » qui subvertit la logique discursive, ce pourquoi elle se construit comme « transgression d’une performance » de la représentation. Pour lui, l’indice majeur de cette transformation est la substitution d’une référence spatiale, de fonctionnement paradigmatique, à la référence chronologique linéaire du récit, de fonctionnement syntagmatique. Sur le plan de la rhétorique des textes, la scène est donc le lieu de l’hypotypose active, contre la description figée, le lieu de subversion du temps en espace dans une expérience inédite de la durée et de l’instant.
Or, révérence parler, il nous semble que c’est exactement ce que met en place un dialogue érotique au téléphone dans un roman : le temps de quelques répliques qui cadrent la situation et posent la convention scénographique imaginaire requise, les voix décrivent des référents visuels (des corps particuliers : on insiste sur des détails précis de l’anatomie ; des positions, des postures : on place les objets dans le cadre) qui sont animés en des séries de verbes d’action conjugués au présent de l’indicatif, tiroir verbal non temporel, mais modalisant, affirmant, imposant la réalisation aléthique de l’énoncé, ouverture sur une représentation imaginaire infinie. Un romancier français, Gilles Sebhan (né en 1967), écrivain de la culpabilité et de l’obsession sexuelle sacrificielle, a proposé ainsi deux types de scènes érotiques au téléphone, l’une entièrement dialoguée, l’autre entièrement narrativisée, qui correspondent tout à fait à la théorie de Stéphane Lojkine, et montrent exemplairement comment, en quoi et pourquoi l’amour au téléphone permet un rituel de la scène, par la parole et dans la voix, que ne permet pas un échange filmé par WebCam. La WebCam en donnant l’image exclut la scène comme possible, comme horizon poétique rhétorisé, comme réalisation d’une représentation, cette scène que concrétise exemplairement, en revanche, sans métaphore mais dans une invention sémiotique précise, le théâtre de la voix, et plus encore de la voix absente, de la voix inconnue. Lisons d’abord la scène dialoguée, telle qu’elle est transcrite dans le journal du narrateur du roman Presque gentil : les deux amants, Gilles et Mehdi, sont au téléphone ; Gilles est à Paris, Mehdi en Allemagne.
Mardi
Alors, tu as revu Olga ?
Pour quoi faire ?
Ben, je ne sais pas, l’amour.
Non, c’est juste comme ça. Et puis, même pas une semaine…
Et alors ?
Il faut pas faire trop. Après tu es tout maigre et malade.
À propos, Mehdi, tu te branles souvent ?
À Dortmund, deux fois. Quand j’ai regardé les films au sex-shop. Gili, je te pose une question : c’est dangereux de jouer avec sa bite ?
Tu plaisantes ?
Excuse-moi, Gili, mais en Égypte, on dit ça beaucoup aux enfants.
Tu n’as plus dix ans.
… Gili ?
… Quoi ?
Ce soir, je suis tout seul dans l’appartement.
Oui.
Est-ce qu’on baise avec une pute chinoise quand je rentre ? J’ai envie.
On verra. Peut-être.
Qu’est-ce qu’on lui fait à la pute ?
Hum… On la ramène chez moi. On la déshabille. Je lui lèche la chatte et toi, elle te suce bien la bite, elle te caresse les couilles. Elle a de longs cheveux et des seins comme tu aimes. Des petits seins tout durs. Tu les prends dans ta bouche.
Et après ?
Elle gémit, elle est très excitée, elle dit des choses…
Elle est salope.
Très salope. Je lui relève les cuisses et tu viens sur elle, tu rentres dans sa chatte très serrée. Et moi, je lui baise la bouche.
Oui.
Après, tu sais ce qu’on fait ?
Quoi ?
Elle est tellement chaude et ouverte qu’on va la prendre tous les deux. Toi, tu vas à fond dans sa chatte et moi, je rentre dans son cul. Elle mouille beaucoup. On la défonce. Ça t’excite ?
J’ai la bite en l’air.
Tu veux que je m’en occupe ?
Vas-y, salope.
Je prends ta grosse bite dans ma bouche, jusqu’au fond de la gorge. Je te suce bien.
Ah oui, Gili.
Je me mets entre tes cuisses, je te caresse partout et je branle ta bite sur mes lèvres.
Vas-y. Joue avec ton copain.
Je m’en occupe bien.
Tu l’aimes ?
Elle est très grosse. Tu me forces à la prendre jusqu’au bout.
T’es pédé, toi.
Tu vas me baiser. Je me mets à quatre pattes pour toi. Tu peux entrer sans préservatif.
Salope. Je te baise.
Avec toi, je fais tout.
Je te baise. Je vais dans tes fesses.
Mehdi.
Elle te plaît ma bite, c’est cadeau pour toi. Prends-la dans ta bouche maintenant. Mange-la.
Je vais tout prendre.
Oui.
Je prends tout.
Oui… oui… Il vient !
Ah.


Mehdi ?
Ça va Gili, je te baise bien ?
C’était très bon. Et toi ?
Ça fait longtemps.
Mehdi ?… Tu me manques.
Excuse-moi, Gili. C’est pas mon choix. Je rentre bientôt.
D’accord… Bon, il est tard… Allez, fais dodo.
Toi aussi, fais dodo.

On voit que « le rituel de la scène » (Lojkine) est aussi progressif que rigoureux. Tout commence par quelques répliques anodines (vie quotidienne), mais que Gilles (« Gili » dans la prononciation de Mehdi) oriente tout de suite vers les questions sexuelles (faire l’amour avec Olga), thématisant explicitement la pensée de l’acte masturbatoire en un présent qui peut se comprendre de plusieurs façons, itératif ou déictique (« tu te branles souvent ? »). Mehdi comprend l’appel et va lancer implicitement l’hypothèse d’une réalisation en direct. Ce qui, à l’oral et « pour de vrai », si l’on peut dire, passerait sans doute par une altération de la voix, du phrasé, de la respiration, ce qui serait peut-être marqué par une pause annonçant une rupture poétique, mais dans la continuité de l’isotopie construite en commun par la complicité des deux garçons (le désir), est noté par Gilles Sebhan par le cas, linguistiquement très rare, des trois points de suspension en tête de séquence (« — … Gili ? — … Quoi ? »). Les trois points suspendent, en effet, le récit des faits vécus (Mehdi et sa vie à Dortmund) et ouvrent sur autre chose ; ils sont un appel à une réorientation de l’échange. On remarque que Gilles a parfaitement entendu la nuance, puisque sa réplique est affectée du même marqueur prosodique : les deux garçons parlent la même langue complice. L’appel sémiotique étant ainsi posé, il ne reste plus qu’à cadrer thématiquement et discursivement le désir, ce que fait Mehdi en précisant qu’il est seul dans l’appartement et qu’il pense à faire l’amour. La non-expression voulue du complément d’objet après son « J’ai envie [de quoi ?] » permet, bien sûr, de superposer strictement désir du futur (faire l’amour avec la pute à Paris) et désir du présent (se masturber au téléphone). Après quelques réticences (laconisme de ses répliques), Gilles accepte de jouer le jeu et rentre dans la scène que lui demande de dessiner avec lui son ami. On retrouve le rôle de la prosodie, et de la phonétique, marqué une fois encore par trois points de suspension, mais cette fois-ci combinés à une onomatopée conventionnellement transcrite (« — Hum… »). Ce sont les avant-derniers signes asémantiques du désir, avant l’orgasme final, qui sera noté, lui aussi, par un duo de points de suspension valant pour aposiopèse et ellipse : de toute évidence, le désir physique ne se dit pas, mais s’entend, dans le silence – et, à l’écrit, se montre par quelques codes typographiques, fort restreints, du reste. Mais, précisément, ce que montrent ces symboles c’est le non-figurable du corps, qui s’entendrait, à l’oral, par des altérations de timbre et de souffle.
Si le désir corporalisé se montre mais ne se dit pas, se signale mais ne se nomme pas, en revanche, dans l’activité de la branlotel, la scène se décrit, par un récit au présent. Auquel s’emploie Gilles, écrivain et professeur de français de son état. Le reste du texte narre ainsi l’invention des actes sexuels, dans une grammaire du récit très inspirée de Sade : on remarque, en particulier, la radicalité de la représentation temporelle figurée par l’asyndète (les faits, les uns après les autres) et par un présent imaginaire et imaginant de pure disponibilité. Dans cette scène d’amour, Gilles est l’agent actif de la narration, quand Mehdi en est l’agent passif, recevant le récit et l’évaluant par ses répliques d’approbation, fonctionnant comme des relances dynamiques d’un désir très concret : le désir du récit.
Mais ce qui fait la spécificité téléphonique de cet échange, c’est la disponibilité des identités. Du moins l’identité du producteur de désir (et de discours) : « Gili ». Alors que le scénario érotique commence autour d’un tiers, strictement utilitaire et anonyme (la pute chinoise), dont le corps est rudimentairement décrit selon quelques stéréotypes érotiques, il se modifie à l’initiative du conteur par une métalepse radicale. « On la défonce. Ça t’excite ? » demande Gilles. On note, encore une fois, l’ambiguïté du présent et, ici, de l’anaphore pronominale : qu’est-ce qui excite Mehdi ? le référent imaginaire (défoncer la pute chinoise) ou le récit proposé ? L’un n’existe pas sans l’autre, mais Mehdi choisit la seconde option, délaissant, pour un instant, la réalisation imaginaire au profit de l’acte immédiat : « J’ai la bite en l’air. » Son sexe (imaginé) n’est donc plus dans le corps de la fille, et Mehdi revient à l’ordre des réalités présentes. À quoi Gilles répond : « Tu veux que je m’en occupe ? » Le récit premier est abandonné au profit d’un nouveau récit, sans la pute, mais tout aussi imaginaire, puisque les deux garçons ne sont pas l’un contre l’autre, mais séparés par la distance. Mehdi accepte immédiatement la proposition, demandant à un Gili docile d’adopter l’identité érotique de la pute dont il était précédemment question, en lui attribuant, par apostrophe, la caractéristique première de l’objet de son désir, dont il caractérisait la pute par attribut : « salope ». Gilles, ou plutôt « Gili » prend donc le rôle de la salope et va, sans surprise, solliciter les deux réalisations sexuelles attendues, en évoquant, comme il se doit, d’abord une fellation puis une sodomie.
Désormais, Gilles parle en son nom propre et la scène érotique décrite de (et par) la branlotel réunit bel et bien les deux amants : les référents sont précis et identifiés (voir la réplique de Mehdi : « T’es pédé, toi »), ce qui ne change rien au fait que les sujets de cette scène imaginaire n’en restent pas moins des inventions, des disponibilités au service d’un récit. Et l’on remarque le trope fort ambigu, une fois de plus, par lequel Mehdi annonce son orgasme : « Il vient ! ». De quoi s’agit-il ? de son sexe, pourtant désigné un peu plus haut par un lexème féminin « ma bite, mange-la », ou de lui-même dans le détour d’une énallage troisième personne ?
Dans ces pages, Gilles Sebhan restitue donc, avec une exactitude très crédible, portée par la prétendue fidélité au réel extralinguistique du discours direct (reproduction d’un référent posé comme existant), ce qu’est un dialogue érotique au téléphone – entre deux amants qui se connaissent, et ce détail est déterminant : on va y revenir. Le résultat prend la forme d’une scène animée, d’un récit qui entend proposer une représentation d’imaginaire visuel, mais par la parole, en somme d’une pure hypotypose, cette animation d’un tableau qui n’existe que dans l’esprit des deux locuteurs. Pour Stéphane Lojkine, la scène se développe sur l’échec de la narration : « elle déjoue l’attente que la performance annoncée a suscitée ». Cet exemple très particulier lui donne à la fois raison et tort. Tout d’abord parce que le texte ne cesse pas un instant d’être narratif, d’une narration active, avec la dynamique radicale de ces présents qui imposent la superposition de la description (des actes imaginés) et de la réalisation (des actes concrets conduisant au plaisir) ; ensuite parce qu’il est difficile de dire que la scène proposée « déjoue » une attente qu’elle a, tout contraire, conditionnée et suscitée, comme la possible pragmatique qu’elle est. L’échec de la narration, marquée par le terme du silence des trois points de suspension, loin d’être une déception ou un renoncement est le terme exact auquel aspirent les deux garçons. Mais tout se fait, en effet, dans une superposition absolue de deux rapports à la durée et à la représentation : à la durée imaginaire des coïts représentés dans le récit s’oppose, mais dans une prétendue identification profondément falsifiée (et appréciée comme telle par les deux joueurs qui partagent le même code), la durée réelle de l’échange téléphonique, mesurable ; et à la représentation s’oppose l’action. Mais l’opposition, loin d’être une antithèse, fonctionne sur le mode d’une stricte syllepse, temporelle et énonciative.
Par ailleurs, il est certain que l’élément fort de cette page est dans la qualité des parlures, des individualisations stylistiques des deux locuteurs, qui parvient à donner l’illusion d’entendre les voix, condition de base de tout échange érotique au téléphone. Sur ce point, Gilles Sebhan jouit d’un avantage certain : l’un de ses locuteurs est un beur sans-papier, et son idiome a la couleur syntaxique attendue, familière, qui permet au lecteur de doubler chacune de ses répliques d’un phrasé et d’un accent bien précis. Ce pourquoi ce texte n’est certainement pas fait pour être lu à haute voix, comme presque tous les dialogues romanesques : le lecteur qui ne prendrait pas l’accent beur pour lire les répliques de Mehdi passe à côté de la caractéristique identitaire (et érotique) de base du sujet ; et celui qui voudrait inventer un accent ou une voix en adéquation avec le style langagier tomberait dans la caricature drolatique, suggérée par le texte, mais sans incompatibilité avec un développement érotique. Figure de contrepoint, la neutre banalité de la langue de Gilles n’existe que pour faire ressortir le sémillant bagou de son ami, tout comme son récit n’existe que pour faire jouir son amant.
Au téléphone, tout se passe par la voix et dans la voix, donc. Il n’est de scène que vocale, vocalisée, inscrite dans l’attention et l’écoute de cette matérialité charnelle, de cette subjectivité et de cette historicité émotive. La scène se déploie dans une zone qui n’existe que comme troisième articulation du langage, entre l’écrit et l’oral : écrit d’une narration (même au téléphone), oral d’un plaisir qui est autant dans l’écoute que dans la diction. D’où les analogies poétiques évidentes avec la forme du dialogue.
Pourtant, dans un autre roman, Gilles Sebhan a non pas retranscrit le dialogue, mais raconté l’expérience en la commentant. Le résultat est, bien sûr, plus analytique que démonstratif, mais les composantes visuelles de l’imaginaire scénique d’un scénario téléphonique sont très précisément évoquées. Metteur en scène évaluant la performance de ses acteurs (lui-même et son interlocuteur), le narrateur raconte sa compréhension de la référence visuelle pour concrétiser la réalisation du fantasme par la voix et, fondamentalement, dans la scène de la voix. Précisons que dans ce texte-ci, et contrairement au précédent, les deux interlocuteurs ne se connaissent pas, ne se sont jamais vus : tout est donc imaginé, imaginaire, imaginable, alors que dans le dialogue avec Mehdi, Gilles jouait de leur complicité et proposait des rôles familiers.
J’ai toujours été sensible à la voix, aux accents. Il m’est arrivé de baiser au téléphone en empruntant des identités diverses. Un garçon m’a particulièrement impressionné. « Karim, j’ai vingt-cinq ans, j’ai baisé ma mère, je suis dominateur et je veux cracher maintenant. » Quand j’ai appelé, Karim s’est présenté comme une bite hors norme, sa voix était coupante, il était convaincant. Il m’a raconté assez vite que son père était mort, qu’il avait baisé sa mère régulièrement, entre treize et dix-sept ans. Il m’a demandé si j’aimais les jeunes, les très jeunes. À l’époque, je travaillais dans un collège. Je n’ai eu aucun mal à imaginer une scène où j’entraînais des mômes de banlieue dans une cave. J’intégrais Karim à mon fantasme, j’avais trouvé la formule magique qui mettait en relation la grosseur de sa bite avec la petitesse des trous dans un climat d’excitation. Les questions qu’il me posait, haletant, m’aidaient à poursuivre le tableau vivant. Apparemment, il était davantage attiré par les chattes. J’avais donc du mal à voir où nous allions tous les deux mais j’étais sûr d’une chose : Karim ne jouait pas. Je me suis mis à lui raconter comment, dans un terrain vague, j’avais ôté la petite culotte d’une fillette qui était trop impressionnée pour pleurer, je crois que j’ai atteint d’un coup le point sensible, il a eu un râle, silence, puis d’une petite voix transfigurée : Pas ma culotte, pas ma culotte, m’enlève pas ma culotte, non, qu’est-ce que tu fais ? J’ai dit oui. Je l’ai insulté. J’ai fait sale petite allumeuse, tu crois que j’ai pas compris ton manège. Oh, monsieur, j’ai peur, c’est trop gros, ça fait mal, ça fait mal, aaaaah… Je me suis adapté comme je pouvais pendant qu’il jouissait en fillette sur un terrain vague quelque part au fond de son crâne.
Le texte réunit tous les mots indispensables à son propre commentaire, renvoyant à la concrétude des supports : « voix, accents, baiser au téléphone » ; mais aussi à leur mise en pratique théorique, inspirée par l’esthétique et le freudisme : « imaginer une scène, fantasme, tableau vivant ». L’expérience de Gilles Sebhan donne entièrement raison à la théorie sémiotico-poétique de Stéphane Lojkine, en particulier dans ce texte, comme le montre ce vocabulaire : l’invention d’un régime de représentation qui suspend le temps de la narration pour inventer l’espace d’un désir, par des signes spatiaux (et ici quasi des décors : la cave, le terrain vague), correspond bien à une scène, laquelle s’impose par la proposition d’un scénario imaginaire qui scénarise les sujets pour les réduire en des métonymies strictes de la scène elle-même – métonymies fétichisées jusqu’à la synecdoque quand le corps (et le sujet) n’est plus que parties mesurables (« grosseur de sa bite » vs « petitesse des trous »).
Certes, le régime énonciatif est différent du dialogue strict du premier texte, mais le rituel scénarique de la scène érotique reste le même, très codifié : préparation et présentation des sujets par les détails physiques identifiant, introduction des goûts conducteurs sous la forme d’une micro-histoire (mort du père, relation avec la mère), développement d’un récit qui doit échouer comme récit (comme continuité) dans sa réussite pragmatique même (l’orgasme). Dans ce dernier extrait, on remarque que le narrateur, tout comme Gilles dans Presque gentil, est le maître du jeu : c’est lui qui dispose les éléments de la scène que Karim appelle. Et, surtout, les deux textes ont en commun la labilité et l’instabilité des identités des sujets désirant : le viril Karim, à la voix tranchante, devient, dans le scénario de la scène inventée par le narrateur, une petite fille qui se fait violer, tout comme Gili se substituait sans précision superflue à la pute chinoise.
Le plus important est la reproduction des discours directs, manifestations sensibles des voix conductrices. La première mention de la voix de Karim est placée entre guillemets (« Karim, j’ai vingt-cinq ans, j’ai baisé ma mère, je suis dominateur et je veux cracher maintenant ») : elle ne correspond pas, en fait, à sa voix, mais à son discours, reproduction de l’annonce enregistrée sur la plateforme du réseau téléphonique_. La voix de Karim, nous l’entendons, en discours direct, quand il adopte le rôle dont il rêve, dans la scène, et Gilles Sebhan la transcrit sans guillemets, mais en italiques, par opposition au discours direct de son narrateur, non marqué (« J’ai dit oui. Je l’ai insulté. J’ai fait sale petite allumeuse, tu crois que j’ai pas compris ton manège »). C’est une façon comme une autre de suggérer l’inégalité du dialogue. Le dialogisme est nivelé dans un dialogal à sens unique, raconté, résumé, mais non restitué. Matériellement, il n’y a pas dialogue : les discours, narrants/narrés, ne sont pas opposés, et l’opposition entre narrateur et locuteur, dans le cas du maître d’œuvre de la scène est récusée par la typographie. En revanche, cette typographie opacifie, exhibe même, l’altérité d’une nouvelle voix, la voix de Karim en petite fille, nouvel acteur d’un nouveau rôle : la connotation autonymique des italiques désigne la séquence en tant que telle, objet de mention. Et objet de désir par cette mention, parce que mentionnable. Artifice qui peut même admettre la puérilité risible d’un cri de convention (« aaaaah… »), qui ne fera pas tant entendre la production de la volupté expulsée hors du corps que le terme du projet scénarique et scénique, dans toute la performance physique figurante de l’échec poétique d’une représentation figurée.
De ce fait, cette scène érotique se prive de la dynamique rythmique de l’alternance stricte des répliques du premier exemple. L’hypotypose ne s’anime pas selon un rythme binaire dialogique, mais selon le seul variable thématique de la monodie rectrice, qui intègre l’altérité à son propos, ne la laissant pas exister et ne reproduisant ses mots de délire que pour lui retirer la parole. L’égoïsme manipulateur et le vampirisme de Gilles Sebhan sont tout entiers à leur affaire : le narrateur jouit de son sentiment de supériorité, de la valorisation de ses capacités à dire pour montrer, tout comme l’écrivain jouit de sa scène poétique. Karim jouit avec son corps, mais « au fond de son crâne », en effet, dans la tension d’un désir qui est une finalité aisément achevable, quand le narrateur, psychagogue aux prises de risques limitées, s’épanouit dans le sentiment généreux et valorisant de sa virtuosité verbale, tout à la finalité sans fin de son désir, sans doute tenté par le ressassement de l’obsessionnel : il est celui qui pousse la pragmatique de la représentation jusqu’à un perlocutoire très concret, qui ne serait, prétendument, accordé qu’à la vérité des corps.

Les récits de branlotel chez les romanciers homosexuels contemporains constituent donc une représentation, finalement très classique, de la scène érotique littéraire française. Les mises en scène verbales de Gilles Sebhan, ses narrativisations scénographiques, sont, on l’a mentionné, dans la continuité des « tableaux vivants » de Sade, cet autre grand adepte de l’excitation par la parole, cet homme de théâtre pour qui les voix furent toujours l’élément le plus corporel de sa poétique. Sans doute parce que la voix (écrite) donne à entendre, dans l’indépassable silence de sa figuration, l’historicité d’un sujet, en tant que producteur de désir, sujet dont les postures érotiques se situent exactement entre le dicible et l’immontrable. D’où le trouble que cette voix suscite, dans la nostalgie d’un performatif qui est deuil d’une certaine expérience de la vérité. Langage et conscience travaillent, dans la voix, à se réunir pour proposer, par l’illusion d’une représentation codifiée en « scène », une certaine confiance dans le désir, quand même.
1 C’est en 1879 que cette toute nouvelle invention commence à être exploité commercialement en France. Le 26 juin 1879, le Ministère des Postes et Télégraphes, créé un an plus tôt, accorde trois concessions pour l’exploitation commerciale du téléphone ; ce qui aboutit à la création de la Société Générale des Téléphones, société privée, l’État ouvrant son propre réseau en avril 1883. En 1890, on compte 10 000 abonnés au téléphone en France. En 1912, le téléphone automatique fait ses débuts en France. Pour un bref historique et une synthèse des problématiques techniques et sociales impliquées par l’usage du téléphone, voir P.-A. Carré, Le Téléphone, un monde à portée de voix, Paris, Gallimard (« Découvertes »), 1993._2 Sur l’imaginaire du téléphone dans la littérature française, de Jules Verne à Claude Simon, à peu près, voir F. Schuerewegen, À distance de voix. Essai sur les « machines à parler », Lille, PUL, 1994._3 In M. Proust, À la recherche du temps perdu, Paris, Gallimard (« La Pléiade »), 1987-1989, t. II, pp. 431-435._4 Et devint aussitôt un sujet de représentation plaisante, d’esprit bien français. Voir le vaudeville en un acte de A. Damocède, Le Téléphone en amour, Paris, Clément, 1898 ; ou celui de M. Hennequin, Un mariage au téléphone, Paris, Librairie théâtrale, 1888 ; voir encore La Demoiselle du téléphone, opérette d’A. Mars & M. Desvallières, musique de G. Serpente, Paris, Théâtre des Nouveautés, 2 mai 1891. Autant de textes qui multiplient litotes, euphémismes et allusions de toute sorte pour dire le trouble érotisable du téléphone._5 Exemple : M. Houellebecq._6 Exemple : M. Duras, Le Navire Night, Paris, Gallimard, 1979._7 À commencer par Freud, selon qui le téléphone pourrait être l’une des réalisations de la télépathie : voir « Le rêve et l’occultisme », in S. Freud, Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse, trad., Paris, Gallimard (« Folio essais »), 1989, p. 77. Le rapprochement semble cependant proposé avec un certain humour. Autres références ?_8 Citer._9 « Le théâtre dans la voix », La Licorne, Poitiers, 1997, n° 41, p. 28._10 Inutile de préciser que les pratiques, masculine/féminine, du téléphone sont notoirement différentes, et certainement bien plus constitutives d’axes identitaires forts que l’opposition hétérosexualité/homosexualité ; voir L. Quéré & Z. Smoreda (éd.), Réseaux, Paris, 2000, vol. 18 (n° 103) [Le Sexe du téléphone]. Par choix de corpus, il ne sera fait état, dans cette brève étude, que de la représentation d’une pratique prétendument associée à des usages d’homme homosexuel, sans que cette association ne puisse dépasser son statut d’idée reçue._11 Exemple de cette condensation de stéréotypes : B. Duteurtre, Gaieté parisienne [1996], Paris, Gallimard (« Folio »), 1998_12 Voir B. Duteurtre, op. cit., pp. 38-39 : « Dans des moments de grande impatience érotique, il recourut aux ressources de la machine. Après trop d’heures perdues sur les trottoirs, la rencontre téléphonique ou télématique aurait le mérite de la clarté, en évitant les approches épuisantes, les frustrations lentes. / Suivant l’indication publicitaire d’un magazine spécialité, Nicolas décrochait l’appareil et composait le numéro de La ligne des mecs, l’un des réseaux de convivialité téléphonique, où l’on enregistre des messages sexuels, en vue de fornications rapides. Sur un répondeur automatique se succédaient les petites annonces, articulées par des citoyens impatients : / Jeune mec branché fessées cherche mec passif buveur de pisse… / Nicolas grimaçait. / Salope 25 ans sur Argenteuil reçoit la bite d’un Black, d’un Beur ou d’un baraqué pour lui vider les couilles… / Chaque client s’efforçait d’imprimer à sa voix le ton juste de sa sexualité. Comme au théâtre, mais plus sérieusement, les inflexions s’accordaient aux fantasmes. / Voix autoritaire : 40 ans, cuir, adepte du ligotage, cherche motard soumis… / Voix charitable : Mec cool aimerait faire câlins et caresses à un garçon amputé… » Dans le même roman, voir aussi (pp. 40-44), la drolatique rencontre avec le prostitué contacté par téléphone, et dont le physique et l’âge ne correspondent en rien à la voix entendue._13 Tout cela est même répertorié, voir S. Beninca (éd.), Le Bottin coquin. L’officiel des rencontres de téléphone à téléphone : échangistes, mélangistes, exhib, gays/bi/trav, fétish, Mulhouse, Éditions Prova, 2007, n° 1._14 Pour une cursive présentation, voir P. Thévenin, « Téléphone (rézos) », in Ph. Di Folco (éd.), Dictionnaire de la pornographie, Paris, PUF, 2005, pp. 473-474._15 Sur le solipsisme de la masturbation comme motif littéraire, voir É. Bordas, « Pratiques obsessionnelles : énonciation et masturbation », in L. Verdier & G. Bonnet (éd.), L’Excès, signe ou poncif de la modernité ?, Paris, Kimé, 2009, pp. 223-236._16 Voir l’exemple parfait de B. Duteurtre, cité supra ; sur le champ précis d’une hypothétique « littérature » gay, sa délimitation et ses présupposés, voir L.-G. Tin, « La littérature homosexuelle en question », in L.-G. Tin & G. Pastre (éd.), Homosexualités : expression/répression, Paris, Stock, 2000, pp. 232-253._17 Cf supra, n. 12. Autre exemple : E. White, La Symphonie des adieux, trad., Paris, Plon, 1998, p. 370 : « Je sortais rarement. […] Je passais des heures et des heures sur la ligne gay, un numéro que je formais (il était généralement occupé) jusqu’à ce que je sois en communication avec sept ou huit hommes qui criaient tous leur numéro de téléphone ou leurs dimensions ou leurs goûts sexuels ou se contentaient d’écouter en respirant lourdement. […] Un homme me téléphona et me fit jouir en parlant. / Ensuite il me téléphona tous les soirs à minuit et il devint mon amant démoniaque, celui qui partageait mon secret, un battement de cœur dans mon oreille, le liquide qui séchait dans mon poing. Il me disait combien il m’aimait, et je lui disais la même chose : ce fut la liaison la plus pure de toute ma vie, rien que l’amour, le désir et le fantasme. Pas de visage dont se moquer, pas de corps à trouver trop grossier, pas d’exigences à supporter, pas de sexe dont il aurait fallu se protéger. Je n’ai jamais su son numéro, il m’appelait tous les soirs à minuit. »_18 Exemple : D. Leavitt, L’Art de la dissertation, trad., Paris, Flammarion, 1999, pp. 48-49 : « je me mis au lit et composai le numéro d’Allô Gay, forme particulièrement désespérée de consolation à laquelle je n’avais pas eu recours depuis plusieurs semaines. Et comme d’habitude dans cet univers aveugle […], des hommes s’excitaient à coups de halètements frénétiques sur lesquels j’étais incapable de me concentrer ; non, en réalité, j’étais incapable de me concentrer sur le ‘dortoir’ qui obsédait l’un des correspondants ou sur le scénario de massage qu’un autre semblait vouloir sans cesse rejouer. » Du même auteur, voir également Le Langage perdu des grues, trad., Paris, Denoël, 1988, pp. 244-246 : l’échange érotique en réseau professionnel est rapporté sous sa forme dialoguée en discours direct._19 S. Lojkine, La Scène de roman. Méthode d’analyse, Paris, Armand-Colin & VUEF, 2002._20 S. Lojkine, op. cit., p. 5._21 « Alors que le discours s’inscrit dans la linéarité du temps qui s’écoule, dans la succession des événements rapportés, des arguments invoqués, dans la scène, le temps s’arrête, les choses adviennent simultanément, l’effet est global. C’est pourquoi, dans la scène, l’espace revêt une importance toute particulière. La scène se situe dans un espace et cet espace fait sens globalement, est donné d’un coup. » — S. Lojkine, ibid._22 G. Sebhan, Presque gentil, Paris, Denoël, 2005, pp. 113-115._23 Rhétorique de la branlotel ? On retrouve le même stylème dans le « roman autobiographique » d’E. White, La Symphonie des adieux (op. cit., ibid.), dans la même situation : « Il était là, voix flûtée et vibrante, […] me suppliant de faire quelque chose, n’importe quoi pour soulager son désir, qui se tenait maintenant raide comme un piquet. ‘Assieds-toi dessus… mets-le dans ta bouche… il a besoin de toi, il ne peut pas vivre seul comme ça, il est comme un poisson hors de l’eau’. »_24 Op. cit., p. 5._25 Le polyptote entre scène, scénique, scénario, scénarique et scénarisant, dans les lignes qui vont suivre, n’est en rien une plaisante pirouette, mais la manifestation morphologique d’un paradigme précis à développer._26 G. Sebhan, La Dette, Paris, Gallimard, 2006, pp. 65-66._27 Comme dans les exemples proposés par B. Duteurtre : cf. supra, n. 12._28 Voir le rappel de J. Derrida : « la possibilité de constituer des objets idéaux appartenant à l’essence de la conscience, et ces objets idéaux étant des produits historiques, n’apparaissant que grâce à des actes de création ou de visée, l’élément de la conscience et l’élément du langage seront de plus en plus difficiles à discerner. Or leur indiscernabilité n’introduira-t-elle pas la non-présence et la différence (la médiateté, le signe, le renvoi, etc.) au cœur de la présence à soi ? Cette difficulté appelle une réponse. Cette réponse s’appelle la voix. » — J. Derrida, La Voix et le phénomène [1967], Paris, PUF (« Quadrige »), 1998, p. 15._
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